mercredi 18 décembre 2013

« Non à la compensation biodiversité ! »


Partout dans le monde, les grands projets d'infrastructure, les industries extractives et les nouveaux marchés financiersnuisent aux écosystèmes et aux populations qui en dépendent . Pour faciliter ces activités, des acteurs publics et privés promeuvent de nouveaux programmes qui rendraient possibles la «  compensation » de leurs impacts sur l'environnement. Cela pourrait conduire à une augmentation des dommages occasionnés, mais, de façon encore plus préoccupante, cela contribue à transformer la nature en marchandise. C'est pourquoi les organisations soussignées alertent sur les effets négatifs de cette fausse solution et affirment «  Non à la compensation biodiversité ».

La compensation biodiversité est la promesse de pouvoir restaurer la biodiversité détruite et perdue en un lieu par la biodiversité d'un autre lieu. Comme dans le cas du Mécanisme de développement propre (MDP) et des programmes de Réduction des émissions liées à la déforestation et la dégradation des forêts (REDD), la compensation biodiversité se fie à des « experts » pour établir des calculs douteux qui établiraient une équivalence entre un bout de planète et un autre. Et ces bouts de planète pourraient être échangés sur un marché.

Qui en profite réellement ?

L'introduction de la compensation biodiversité permet, et même encourage, la destruction de l'environnement avec la promesse selon laquelle l'habitat naturel pourrait être recréé ailleurs. Cela bénéficie aux entreprises qui causent les dommages, car elles peuvent se présenter comme des entreprises qui investissent dans la protection de l'environnement, et ainsi réaliser du « greenwashing » sur leurs produits et services.

La compensation biodiversité génère également de nouvelles opportunités économiques pour les intermédiaires : les consultants spécialistes de la conservation auront à calculer ce qui est perdu, les banquiers auront à les transformer en actifs, les traders et financiers pourront les échanger et spéculer sur de nouveaux marchés et les investisseurs spécialisés pourront profiter de ce qu'on appelle le « capital naturel ». Le « capital naturel » est un concept artificiel basé sur des hypothèses économiques contestables plutôt que sur les valeurs écologiques, permettant la marchandisation de la nature.

Tout ceci est rendu possible par la forte implication des gouvernements des États qui élaborent des politiques publiques visant à garantir que les droits de propriété sur les éléments de la nature tels que le carbone ou la biodiversité puissent être transférés à des entreprises et des banques.

La compensation biodiversité n'évitera pas la perte de biodiversité 
La nature est unique et complexe. Il est strictement impossible de mesurer parfaitement la biodiversité. Ainsi il est illusoire de laisser penser que des équivalences puissent être trouvées entre des zones naturelles distinctes. Certains écosystèmes ont mis des centaines, voire des milliers d'années pour atteindre leur état actuel. Pourtant la compensation biodiversité prétend qu'ils peuvent être remplacés. Des recherches approfondies démontrent que c'est impossible

La compensation biodiversité nuira aux populations
La compensation biodiversité fait de la protection de l'environnement un simple sous-produit d'un projet commercial,marginalisant les populations et menaçant leur droit à vivre. La nature a un rôle social, spirituel et de subsistance important pour les populations locales, lesquelles définissent leurs territoires à travers à une relation équilibrée et historique avec la terre et la nature. Ces valeurs ne peuvent pas être mesurées, tarifées ni compensées, pas plus que ces populations ne peuvent tout simplement se déplacer et vivre ailleurs

La compensation biodiversité cherche à séparer les populations de l'environnement dans lequel elles vivent, leur culture est enracinée et leurs activités économiques ont traditionnellement lieu.

La compensation biodiversité pourrait augmenter la perte de biodiversité
Des cas de compensation biodiversité montrent comment cela permet d'accroître l'exploitation des ressources naturelles et de saper les droits des populations à gérer et protéger les biens communs de la nature.
Voici quelques exemples:
  • Le nouveau code forestier au Brésil permet aux propriétaires fonciers de détruire les forêts, s'ils achètent des« certificats de réserves écologiques » qui sont émis par l'Etat et négociés sur BVRio, la « bourse verte »récemment créée par le gouvernement du Brésil
  • La législation de l'UE prévue sur la compensation biodiversité (appelée « Initiative sans perte nette » - “No Net Loss Initiative” en anglais) pourrait compromettre les directives environnementales existantes
  • Les institutions financières publiques telles que la Banque mondiale, la Société financière internationale (SFI, la branche privée de la Banque mondiale) et la Banque européenne d'investissement (BEI) ont intégré la compensation biodiversité dans leurs critères et pratiques, rendant possibles des niveaux supérieurs de compensation des dommages environnementaux causés par les projets que ces institutions financent.
Les grandes infrastructures destructrices et les projets extractivistes ne peuvent être compensés. Une fois qu'un écosystème est détruit, il ne peut pas être recréé ailleurs. Dans de nombreux endroits où la compensation biodiversité a été autorisée, elle a affaibli les lois existantes visant à éviter la destruction. En cas de commerce sur des marchés (comme c'est le cas avec la compensation carbone), la compensation biodiversité ouvrirait la voie à la spéculation des acteurs financiers et des entreprises privées, menaçant la nature et les droits des populations qui en dépendent.

Après sept ans de la compensation carbone qui n'ont pas réussi à réduire les émissions de carbone, la compensation biodiversité ne doit pas être utilisée pour rendre possible les destructions qui auraient été illégales ou contraires à des politiques locales et nationales en vertu de normes environnementales ou d'investissement.

Pour ces raisons, nous rejetons toute tentative d'inclure la compensation biodiversité dans toute législation, norme ou politique publique qui viserait à créer de nouveaux marchés basés sur la nature ou la comptabilité en «  capital naturel ».

Annexe : quelques exemples de politiques et de projets de compensation

  1. Le gouvernement britannique envisage d'introduire la compensation biodiversité (la consultation est ouverte jusqu'au 7 novembre 2013 http://www.fern.org/UKbiodiversityconsultation). Les premiers cas de compensation montrent comment la promesse de « compensation biodiversité » sape la programmation de lois qui évitent la destruction. Les promoteurs de la compensation biodiversité s'immiscent avec succès dans le processus législatif, minant le processus de prise de décision démocratique et affaiblit la voix des populations
  2. Notre Dame des Landes, France est un projet d'aéroport envisagé depuis 40 ans, qui doit être construit sur plus de 1000 hectares de terres humides, où des paysans maintiennent un paysage traditionnel et la biodiversité. La compensation était requise par la loi française sur la biodiversité et sur l'eau.  Biotopea conçu une nouvelle méthodologie basée sur des « fonctions » plutôt que sur des « hectares », proposant que Vinci, le promoteur de l'aéroport, compense seulement 600 ha. La résistance locale contre la compensation a jusqu'ici empêché le projet et a contesté le plan de compensation proposé. La Commission européenne s'est saisi du cas.
  3. La stratégie biodiversité 2020 de l'UE : l'UE envisage la possibilité d'une législation sur la compensation biodiversité, qui pourrait inclure une « banque d'habitat naturel » qui permettre de compenser les espèces et les habitats naturels sur tout le territoire européen. L'objectif est de n'avoir aucune perte nette de biodiversité,ce qui fait une différence importante avec l'objectif précédent qui était de n'avoir aucune perte.
  4. La Banque mondiale a financé le projet de mine géante de nickel et de cobalt de Weda Bay en Indonésie. Elle est exploitée par l'entreprise minière française Eramet (http://wedabaynickel.com) . L'entreprise fait partie de la BBOP (Business and Biodiversity Offsets Program : http://www.business-biodiversity.eu/default.asp?Menue=133&News=43). Ce projet a déjà reçu une garantie de la part de MIGA (la branche de la Banque mondiale garantissant le risque économique et politique des investisseurs), et elle est censée recevoir un nouveau financement de la Banque mondiale, de la Banque asiatique de développement, de la Banque japonaise pour la coopération internationale (JPIC), de la Coface et de l'Agence française de développement (AFD) pour compenser le programme. Les impacts sur les populations et les territoires sont immenses et la société civile indonésienne et internationale s'y opposent

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