La
méthode de régénération naturelle, fort prisée à l'heure actuelle,
est-elle adaptée aux enjeux économiques et écologiques à venir ? La
question se pose d'autant plus que, dans la pratique, cette méthode fait
souvent l'objet d'un véritable contre-sens.
« Le
véritable effort de régénération naturelle suppose de la part des
forestiers un investissement financier plus important que la plantation » estime Guillaume Chantre du FCBA.
- Trop de complexité menace la forêt
Pour
obtenir une production de qualité, une gestion par régénération
naturelle exige en effet un investissement conséquent sur le plan
financier, mais aussi en temps de travail et en main d'œuvre... Elle
suppose une vraie expertise dès les trois à quatre ans suivant la
régénération jusqu'au moment de l'exploitation du bois. Car comme le
rappelle l'expert forestier, Brice de Turckheim, président d'honneur de Pro Silva, « la
coupe en forêt irrégulière demande plus qu'en système régulier une
compétence accrue et une responsabilité des intervenants à tous les
échelons. La particularité majeure est que l'on trouve dans chaque coupe
des produits et des qualités très variés. Les problèmes de tri des
produits font appel à de bonnes connaissances des normes de classement
et de l'utilisation finale des bois. Il n'y a pas de coupe facile, ou
pouvant être réalisée en pleine sève, ou par n'importe quel « coupeur de
bois » (source : Forêt-entreprise n°189 – Novembre 2009). La nouvelle génération de forestiers est-elle formée à une telle gestion, par ailleurs, onéreuse ?
En
revanche, dès le départ, la plantation suppose le nombre de plants
suffisant, au bon endroit, avec une base génétique optimale assurant la
qualité finale du peuplement. Une plantation amoindrit ainsi les coûts
d'entretien puisque les arbres d'avenir sont présélectionnés et, au
final, la ressource économique est plus facilement mobilisable.
À
terme, une plantation délivre plus rapidement une ressource optimale
(qualité et prix) à l’industriel tout en garantissant une excellente
rentabilité aux propriétaires investisseurs.
- Reconquérir les forêts abandonnées
Actuellement,
les forêts publiques gérées par l'ONF sont renouvelées au deux tiers
par régénération naturelle, un tiers revenant à la plantation (feuillus
essentiellement). Si les institutionnels peuvent investir des moyens
permanents très importants dans leurs forêts, la technique de la
régénération naturelle est difficilement généralisable dans les espaces
privés et dans les bois communaux.
« Trop
souvent, la régénération naturelle et l’abandon de la plantation
masquent un simple abandon de la forêt en termes de gestion et le
désengagement de nombreux propriétaires vis-à-vis de leur patrimoine
forestier » poursuit Guillaume Chantre du FCBA.
Des
forêts morcelées, des propriétaires forestiers qui ne vivent plus sur
place, un manque de main d'œuvre... la régénération naturelle apparaît
sans doute aux yeux de beaucoup comme un moyen peu onéreux (dans un
premier temps) de laisser la forêt se recomposer. C'est là que le bât
blesse. Au delà de l'impossibilité de valoriser les bois de ces espaces,
ce laisser-faire est lourd de conséquences pour l'avenir.
« La
forêt tout venant qu'on laisse s'installer n'est pas forcément celle
qu'on imagine, naturellement mélangée. Ce peut être des espaces
broussailleux, impénétrables, voire dangereux dans certaines régions
(incendies). Revenir derrière un enfrichement
anarchique est très difficile. Les coûts pour réinvestir la forêt sont
souvent rédhibitoires. Ainsi, le fait de moins reboiser aujourd'hui est
alarmant car on grève la capacité à lever du bois ou à réinvestir la
forêt demain » estime l'expert du FCBA.
- La biodiversité n'est pas l'apanage de la régénération naturelle
Selon
Alphonse NANSON, ingénieur des Eaux et Forêts, docteur en sciences
agronomiques et chercheur, dans son ouvrage « Génétique et amélioration
des arbres forestiers » : « Parallèlement
à la destruction pure et simple des forêts par défrichement, un
écrémage génétique souvent intense a eu lieu dans les forêts
subsistantes, avec des effets peut-être plus pernicieux que les
précédents. L’écrémage génétique consiste
en l’enlèvement des individus les plus beaux et les plus conformes aux
besoins humains au sein des populations. De la sorte, ce sont les
individus restants, les moins valables pour les usages de l’homme, qui
peuvent seuls se reproduire. Ce processus provoque ainsi une sélection
négative à la génération suivante.
Cet
écrémage génétique apparaît de plus en plus comme une pratique très
généralisée dans le monde entier. Il est souvent intense et répété,
parfois pendant des siècles, surtout dans les zones densément peuplées.
Il a abouti à des populations dégradées au niveau de leur moyenne (écrémage génétique) et de leur diversité génétique (érosion génétique).
Beaucoup d’indices laissent croire que c’est le cas de la plupart de
nos essences indigènes européennes, notamment des feuillus dont les
populations actuelles ne sont sans doute qu’un pâle reflet de celles du
temps de nos ancêtres les Gaulois. »
« Dans
tous les cas, les recrus naturels d’autres espèces - aussi bien
présents en régénération naturelle qu’en plantation - sont eux aussi une
source de biodiversité spécifique. De même, une grande biodiversité
spécifique n’est pas l’apanage de la régénération naturelle car rien
n’empêche d’introduire par plantation plusieurs essences en mélange
comme cela se prépare maintenant couramment dès le stade pépinière en
Amérique du Nord » précise Luc Pâques, en citant notamment l'exemple du Québec.
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