vendredi 24 janvier 2014

L'investissement forestier au service de la nature 1/2


La méthode de régénération naturelle, fort prisée à l'heure actuelle, est-elle adaptée aux enjeux économiques et écologiques à venir ? La question se pose d'autant plus que, dans la pratique, cette méthode fait souvent l'objet d'un véritable contre-sens.
 
« Le véritable effort de régénération naturelle suppose de la part des forestiers un investissement  financier plus important que la plantation » estime Guillaume Chantre du FCBA.

  • Trop de complexité menace la forêt

Pour obtenir une production de qualité, une gestion par régénération naturelle exige en effet un investissement conséquent sur le plan financier, mais aussi en temps de travail et en main d'œuvre... Elle suppose une vraie expertise dès les trois à quatre ans suivant la régénération jusqu'au moment de l'exploitation du bois. Car comme le rappelle l'expert forestier, Brice de Turckheim, président d'honneur de Pro Silva, « la coupe en forêt irrégulière demande plus qu'en système régulier une compétence accrue et une responsabilité des intervenants à tous les échelons. La particularité majeure est que l'on trouve dans chaque coupe des produits et des qualités très variés. Les problèmes de tri des produits font appel à de bonnes connaissances des normes de classement et de l'utilisation finale des bois. Il n'y a pas de coupe facile, ou pouvant être réalisée en pleine sève, ou par n'importe quel « coupeur de bois » (source : Forêt-entreprise n°189 – Novembre 2009). La nouvelle génération de forestiers est-elle formée à une telle gestion, par ailleurs, onéreuse ?

En revanche, dès le départ, la plantation suppose le nombre de plants suffisant, au bon endroit, avec une base génétique optimale assurant la qualité finale du peuplement. Une plantation amoindrit ainsi les coûts d'entretien puisque les arbres d'avenir sont présélectionnés et, au final, la ressource économique est plus facilement mobilisable.
À terme, une plantation délivre plus rapidement une ressource optimale (qualité et prix) à l’industriel tout en garantissant une excellente rentabilité aux propriétaires investisseurs.

  •  Reconquérir les forêts abandonnées

Actuellement, les forêts publiques gérées par l'ONF sont renouvelées au deux tiers par régénération naturelle, un tiers revenant à la plantation (feuillus essentiellement). Si les institutionnels peuvent investir des moyens permanents très importants dans leurs forêts, la technique de la régénération naturelle est difficilement généralisable dans les espaces privés et dans les bois communaux.

« Trop souvent, la régénération naturelle et l’abandon de la plantation masquent un simple abandon de la forêt en termes de gestion et le désengagement de nombreux propriétaires vis-à-vis de leur patrimoine forestier » poursuit Guillaume Chantre du FCBA.

Des forêts morcelées, des propriétaires forestiers qui ne vivent plus sur place, un manque de main d'œuvre... la régénération naturelle apparaît sans doute aux yeux de beaucoup comme un moyen peu onéreux (dans un premier temps) de laisser la forêt se recomposer. C'est là que le bât blesse. Au delà de l'impossibilité de valoriser les bois de ces espaces, ce laisser-faire est lourd de conséquences pour l'avenir.

« La forêt tout venant qu'on laisse s'installer n'est pas forcément celle qu'on imagine, naturellement mélangée. Ce peut être des espaces broussailleux, impénétrables, voire dangereux dans certaines régions (incendies). Revenir derrière un enfrichement anarchique est très difficile. Les coûts pour réinvestir la forêt sont souvent rédhibitoires. Ainsi, le fait de moins reboiser aujourd'hui est alarmant car on grève la capacité à lever du bois ou à réinvestir la forêt demain » estime l'expert du FCBA.

  • La biodiversité n'est pas l'apanage de la régénération naturelle

Selon Alphonse NANSON, ingénieur des Eaux et Forêts, docteur en sciences agronomiques et chercheur, dans son ouvrage « Génétique et amélioration des arbres forestiers » : « Parallèlement à la destruction pure et simple des forêts par défrichement, un écrémage génétique souvent intense a eu lieu dans les forêts subsistantes, avec des effets peut-être plus pernicieux que les précédents. L’écrémage génétique consiste en l’enlèvement des individus les plus beaux et les plus conformes aux besoins humains au sein des populations. De la sorte, ce sont les individus restants, les moins valables pour les usages de l’homme, qui peuvent seuls se reproduire. Ce processus provoque ainsi une sélection négative à la génération suivante.

Cet écrémage génétique apparaît de plus en plus comme une pratique très généralisée dans le monde entier. Il est souvent intense et répété, parfois pendant des siècles, surtout dans les zones densément peuplées. Il a abouti à des populations dégradées au niveau de leur moyenne (écrémage génétique) et de leur diversité génétique (érosion génétique). Beaucoup d’indices laissent croire que c’est le cas de la plupart de nos essences indigènes européennes, notamment des feuillus dont les populations actuelles ne sont sans doute qu’un pâle reflet de celles du temps de nos ancêtres les Gaulois. »

Pour beaucoup d’essences commerciales (essentiellement résineuses), la régénération des peuplements par plantation se fait de plus en plus à partir de variétés améliorées produites en vergers à graines. Ainsi que l'explique Luc Pâques, de l'Inra, de par leur conception (origine et nombre des géniteurs, organisation spatiale favorisant le brassage génétique), ces vergers assurent aux variétés produites une diversité génétique forte, équivalente ou supérieure à celle trouvée dans les régénérations naturelles mais certainement plus forte que celle obtenue en régénération naturelle de peuplements avec peu de semenciers ou à partir de semenciers consanguins. Cette diversité, élargie encore par une multiplicité des vergers pour certaines essences, est une garantie de bonne stabilité des plantations vis-à-vis des aléas biotiques et abiotiques.

« Dans tous les cas, les recrus naturels d’autres espèces - aussi bien présents en régénération naturelle qu’en plantation - sont eux aussi une source de biodiversité spécifique. De même, une grande biodiversité spécifique n’est pas l’apanage de la régénération naturelle car rien n’empêche d’introduire par plantation plusieurs essences en mélange comme cela se prépare maintenant couramment dès le stade pépinière en Amérique du Nord » précise Luc Pâques, en citant notamment l'exemple du Québec.  


 

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